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Années de l'Appel

PENSER AUTREMENT LA BIOÉTHIQUE

 

Quel monde sommes-nous en train d’édifier ? Quelle solidarité et quelle médecine voulons-nous pour nous et les générations à venir ? Les crises sociales et les alertes écologiques traduisent chacune à leur manière une profonde inquiétude. Les projets relatifs à la bioéthique vont-ils augmenter le désarroi ?

Nous changeons d’époque. Il nous faut penser un nouveau progrès. Cela ne se fera pas sans une vision commune de notre humanité ni sans une solidarité qui renforce nos liens et réajuste les droits et devoirs de chacun. L’ambition de notre « fraternité » exige des conversions qui nous guérissent de la toute-puissance de nos désirs individuels et collectifs.


Nos inquiétudes pour demain se cristallisent dans la crise écologique. La planète, notre maison commune, est agressée et presqu’épuisée. Elle semble crier, tout comme celles et ceux qui y vivent trop difficilement à cause des crises environnementales qui sont aussi sociales, économiques et politiques. Pourtant, au lieu de la désespérance, le dérèglement climatique et la perte de la biodiversité provoquent une salutaire prise de conscience : ensemble, nous devons préserver notre planète et cesser de l’abîmer !

Il est donc impossible de rester dans le monde ancien où les techniques imposent leur pouvoir dévastateur ! Les premiers consensus écologiques dessinent un autre progrès pour un monde nouveau, édifié grâce à la sobriété heureuse et au partage solidaire. Les jeunes nous y poussent avec véhémence.


La bioéthique ne saurait rester étrangère à cette transition vers le nouveau monde auquel nous aspirons. Aujourd’hui, elle est tentée et aveuglée par ses succès technologiques et par le court-terme de la concurrence des marchés. Elle semble s’enfermer dans le monde ancien, celui des pouvoirs techniques qui abîment l’Homme.

Certes, les progrès de la médecine nous permettent de vivre mieux et plus longtemps. Mais les alertes sont nombreuses :

  • Face aux défis du vieillissement et de la dépendance de concitoyens de plus en plus nombreux, quelle nouvelle solidarité allons-nous inventer pour qu’ils vivent le mieux possible avec nous ?
  • Face à une conception gestionnaire des soins selon laquelle un « patient » est devenu un « client », et face à une technicisation de la médecine, entendrons-nous l’appel des citoyens et des professionnels de santé qui réclament une médecine plus humaine ?
  • Face aux menaces que les techniques biomédicales font peser sur notre humanité, saurons-nous ouvrir un débat éthique raisonnable et approfondi, capable de discerner sans tabous les enjeux véritables ? Car ces menaces sont réelles : marché des tests génétiques, robotisation et intelligence artificielle sans contrôle suffisant, augmentation des capacités du cerveau, expérimentation sur des embryons chimères, modification génétique de l’embryon humain, sélection accrue des enfants à naître, filiation sans paternité, maternité sans gestation, marchandisation de la procréation et de la gestation, etc.

Plus que jamais, une vision audacieuse de l’Homme est nécessaire, intégrant les découvertes qui enrichissent son humanité. Grâce au dialogue, redisons-nous ce qui constitue notre humanité et notre dignité. Développons une compréhension unifiée de la personne en ses dimensions corporelle, psychique, relationnelle et spirituelle. Le corps n’est pas un matériau disponible et transformable selon tout désir. Les liens humains fondamentaux – à commencer par ceux de la filiation – ne sont pas configurables à volonté. Par sa double filiation, maternelle et paternelle, chacun entre dans l’histoire, d’autant plus serein qu’il aura été respecté dans sa dignité.

La dignité est une exigence de non-marchandisation, de non-instrumentalisation, de non-fabrication de tout être humain dès sa conception. De cette dignité découlent la « fraternité » et la « gratuité » grâce auxquelles s’édifie la société inclusive que nous voulons. Celle-ci accueille les différences et les fragilités, non comme des problèmes à éradiquer mais comme des sources d’humanité plus grande. L’éthique apaise quand elle prend en compte nos vulnérabilités et nos limites, inhérentes à notre condition humaine.

Voilà le chemin d’un autre progrès, beaucoup plus juste, qui conduit au monde nouveau désirable ! Grâce à l’éthique, nous pouvons résister à la séduction des techniques nous entraînant dans la dérive condamnable de l’eugénisme libéral qui est un vrai recul de notre société.


Répondre au défi écologique, c’est aussi élaborer une autre bioéthique au foyer commun de la « fraternité », de la sobriété, du respect de la valeur sans prix de tout être humain. Ne manquons pas ce rendez-vous grave et plein d’espérance !

 

Elaboré par le
Groupe de travail de Bioéthique

des évêques de France